Le modèle et l’entente
La première difficulté qui est apparue dans le projet Capture consiste dans la génération de musique tonale. Si plusieurs projets permettent de générer automatiquement de la musique savante dans un style passé ou contemporain, très peu permettent de produire de la musique tonale dans un genre populaire. Il y a là un paradoxe intéressant: habituellement on estime que la musique savante est complexe, à la limite de l’audible. Elle suppose une connaissance préalable parce qu’en ouvrant une expérience nouvelle d’écoute elle défait le cadre préalable de sa perception, l’habitude d’une forme musicale anticipable. On pourrait donc s’attendre que cette difficulté se reporte sur la possibilité de la modéliser. Or il n’en est rien justement parce que ce type de musique est souvent déjà formalisée, elle répond à des règles précises, à un langage de notation. C’est du fait de cette relation entre musique savante et langage que de nombreux compositeurs ont mis en place leur propre système de notation.
D’un autre côté, on raille la musique pop qui est considérée par certains comme simpliste, basique, quelques accords et le tour est joué. Or, là c’est l’inverse, il est extrêmement difficile de générer et de modéliser ce genre musical du fait même de sa non-formalisation originelle. Faire sonner à la manière pop une composition générative est un pari difficile à tenir, parce que ce son n’est pas réductible à une formalisation. Sa simplicité d’écriture, son caractère limité en terme de registre et de tonalité ouvrant une complexité plus subtile d’un point de vue scénaristique (la progression) et dans les détails et les variations. Cette absence de formalisation est donc transductive, elle se répand: ce qui a été peu formalisé sera peu formalisable, ce qui l’a été pourra être reformalisé, c’est-à-dire simulé. Le lien avec le langage est donc structurel. Le paradoxe concerne donc la notion même de modèle et de langage, dans le sens de la notation, parce que ce qui est simple, la musique pop, est complexe à formaliser, parce que ce qui est complexe, la musique savante, est simple à formaliser.
Ce paradoxe pose des questions d’ordre esthétique dans la mesure ou on recherche un accord (on ose dire au sens kantien) avec le spectateur. Il s’agit de produire une musique crédible. Alors même qu’avec la musique savante contemporaine on ne sait pas à quoi s’attendre, l’événement musical ne venant pas remplir un cadre préexistant d’écoute, avec la musique populaire ce cadre d’écoute préalable existe et il est extrêmement limité. C’est cette limitation formelle, qu’il ne faut pas confondre avec une limitation esthétique puisque deux morceaux populaires ne se ressemblent pas, qui constitue un spectre esthétique difficile à aborder dans la génération. Ainsi la moindre déformation ou altération de la tonalité rend peu crédible un morceau pop. Ceci nous permet de comprendre que la formalisation générative lorsqu’elle veut atteindre une certaine crédibilité se doit d’aborder le cadre esthétique de réception qui lui est préalable.