Les logiciels du flux
Il est remarquable de constater à quel point le concept de flux trouve dans l’informatique contemporaine un territoire d’expression inédit et fertile. Cette rencontre ne relève pas d’une simple coïncidence technologique, mais révèle une affinité fondamentale entre la nature processuelle des flux et l’architecture même du traitement numérique de l’information. Dans cet univers computationnel, les flux sont simultanément simulés, visualisés et quantifiés, transformant ainsi notre compréhension de la fluidité et du mouvement.
L’ordinateur, en tant que dispositif technique, occupe une position singulière à l’intersection de trois domaines ontologiques distincts : la modélisation référentielle qui prétend représenter le réel, la simulation imaginaire qui ouvre des mondes possibles, et le fonctionnement intrinsèque du logiciel avec sa logique propre. Cette position ambivalente soulève une question épistémologique cruciale : les flux numériques reproduisent-ils des phénomènes observés selon des critères d’objectivité scientifique, ou inventent-ils des mondes déjà structurés par des grilles de lecture qui précèdent l’observation elle-même ?
Des environnements de programmation visuelle comme Pure Data illustrent parfaitement cette ambiguïté constitutive. Ces logiciels “à boîtes” permettent de concevoir des programmes non pas à travers un code textuel séquentiel, mais par la représentation graphique d’un flux de données. Le programme devient littéralement une cartographie de circulations, où l’information se déplace à travers un réseau de nœuds fonctionnels. La programmation elle-même adopte ainsi une forme fluide, mimant les processus qu’elle cherche à modéliser.
À l’échelle des réseaux informatiques, les flux de données traversent incessamment les fils et les ondes, passant d’un ordinateur à un autre, subissant des encodages et décodages successifs à une vitesse qui défie toute perception humaine. Cette omniprésence des flux numériques crée un paradoxe sensoriel : nous sommes immergés dans ces flux continuels, ils constituent l’environnement même de notre existence connectée, mais nous ne les percevons jamais directement. Seules leurs conséquences traduites nous sont accessibles, sous forme d’images sur nos écrans, de sons dans nos haut-parleurs, de relations sociales médiatisées. L’expérience des flux numériques est ainsi fondamentalement indirecte, toujours déjà transformée par des interfaces de traduction.
La diversité des logiciels de flux : capture et modélisation
Face à cette réalité insaisissable des flux numériques, une multitude de logiciels se sont développés selon deux orientations complémentaires. D’une part, certains programmes se spécialisent dans la modélisation des flux de toutes natures, cherchant à reproduire leurs comportements, leurs interactions et leurs évolutions. D’autre part, des logiciels de visualisation s’attachent à rendre perceptibles ces phénomènes, opérant ce qu’on pourrait appeler une capture, une coupe, un décodage qui suspend momentanément la continuité du flux pour en extraire une image lisible.
Cette tension entre modélisation dynamique et capture statique révèle une dialectique fondamentale dans notre rapport aux flux. Nous cherchons simultanément à comprendre leur continuité, leur mouvement perpétuel, et à les fixer dans des représentations analysables, des instantanés qui permettent la réflexion. L’informatique, par sa puissance de calcul et sa flexibilité représentationnelle, offre un terrain privilégié pour cette double approche, permettant à la fois de simuler le devenir des flux et d’en extraire des moments significatifs.
Les domaines d’application comme symptômes culturels
Les domaines d’application de ces logiciels de flux constituent de véritables symptômes culturels qu’il convient de décrypter, car ils révèlent nos manières contemporaines de concevoir et de catégoriser les phénomènes fluides. Cette cartographie des flux numériques dessine un parcours conceptuel significatif, allant des phénomènes physiques (modélisation climatique, dynamique des fluides) aux phénomènes urbains (mouvements de foule, circulation urbaine), en passant par les processus organiques (flux sanguin, flux vocal) et les flux médiatiques (transmission vidéo, circulation des données).
Cette diversité d’applications suggère que les flux, dans notre imaginaire techno-scientifique contemporain, relèvent simultanément de plusieurs registres ontologiques. Ils s’inscrivent d’abord dans un modèle originaire et fondamental de la physis, héritier de la tradition philosophique grecque qui voyait dans le flux un principe cosmologique. Ils appartiennent également à la sphère de l’environnement artificiel, notamment urbain, où les circulations humaines, matérielles et informationnelles définissent l’habitat contemporain. Les flux participent aussi d’une compréhension du corps comme système circulatoire, que ce soit dans la fluidité de la parole ou dans le circuit sanguin. Enfin, ils relèvent d’une autoréférence médiatique, où les contenus circulent, se transforment et se commentent eux-mêmes dans une boucle potentiellement infinie.
Le retour épistémologique des flux
L’essor des logiciels de modélisation et de visualisation des flux marque un tournant épistémologique majeur : le retour des flux dans le domaine de la connaissance scientifique légitime, après plusieurs siècles de relégation dans le champ technique et dans le savoir pratique de l’ingénieur. Cette réhabilitation épistémique n’est pas anodine. L’histoire des sciences occidentales témoigne d’une méfiance persistante envers les phénomènes fluides, préférant traditionnellement l’étude des corps solides, plus aisément mesurables et formalisables dans le cadre de la mécanique classique.
Il est significatif que la modélisation des flux atmosphériques et des phénomènes climatiques ait constitué l’un des premiers domaines d’application des ordinateurs dès leur apparition. Cette affinité originelle entre informatique et étude des flux suggère une compatibilité fondamentale entre la nature processuelle du calcul numérique et celle des phénomènes fluides. L’ordinateur, par sa capacité à effectuer des itérations multiples et à traiter des équations différentielles complexes, a offert pour la première fois la possibilité de simuler adéquatement ces phénomènes jusqu’alors réfractaires à la formalisation mathématique classique.
Cette convergence aboutit à l’émergence du flux comme paradigme épistémologique contemporain. Sa force réside précisément dans sa généralité : le flux n’est pas un étant particulier parmi d’autres, mais désigne potentiellement tout ce qui peut être considéré dans son devenir, dans sa transformation continue. Il offre ainsi un cadre conceptuel applicable à des domaines extrêmement divers, des processus naturels aux dynamiques sociales, des transmissions d’information aux mouvements financiers.
De l’incontrôlable au modélisable
Cette montée en puissance du paradigme des flux dans les sciences contemporaines s’accompagne d’une transformation radicale de leur statut pratique. Alors que les flux ont longtemps été perçus comme des phénomènes fondamentalement incontrôlables, oscillant entre l’excès (l’inondation, la surabondance) et le déficit (la sécheresse, la pénurie), ils deviennent aujourd’hui des objets modélisables par excellence, susceptibles d’être intégrés dans les calculs, prédits et potentiellement maîtrisés.
Cette domestication conceptuelle des flux par leur intériorisation dans la “boîte noire” de l’ordinateur transforme notre rapport à la fluidité. D’un côté, cette modélisation semble promettre une maîtrise accrue des phénomènes autrefois considérés comme chaotiques ou imprévisibles. De l’autre, elle révèle des complexités et des interdépendances insoupçonnées, mettant en lumière des dynamiques non-linéaires qui défient souvent nos intuitions et nos capacités de prédiction à long terme.
Nous pouvons délimiter plusieurs domaines de logiciels traitant les flux. Cette liste n’a pas pour objectif d’être exhaustive mais de fournir quelques exemples:
http://www.massivesoftware.com
http://www.crowdit.worldofpolygons.com
http://en.wikipedia.org/wiki/Crowd_simulation
ÉNERGIE
AutoCAD electrical
TRANSPORT
VILLE
http://www.procedural.com
COMMUNICATION
http://en.wikipedia.org/wiki/Software_flow_control
DONNÉES
http://r-s-g.org/carnivore
AUDIOVISUEL
http://www.adobe.com/products/premiere/onlocation/