Le sens de l’histoire

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L’anecdote avait été répétée : à 7 ou 8 ans, ma mère m’avait amenée au Louvre au département égyptien et j’étais tombé en arrêt pendant de longues minutes devant le Scribe accroupi tenant par là mon accompagnatrice captive de mon regard : elle me regardait regarder cette sculpture. Je sentais son regard derrière mon dos, attendant le moment de me retourner et de devoir partir dans une autre salle. Les corps avaient été suspendus quelques instants.

Il y avait bien sûr une certaine habilité à dessiner, mais ma première idée de l’art (indéterminé) fut donc celle-ci : un regard capturant un autre, un visible voyant, l’échange sans parité.

Le fait que cette sculpture soit d’une civilisation disparue et comme la part cachée et secrète de l’Occident n’avait sans doute pas été le fait du hasard. L’Égypte ancienne provoquait déjà un attrait chez moi évoquant l’idée que si cette civilisation avait été engloutie sous le sable, toutes les civilisations, dont la nôtre, étaient sans aucun doute vouées à disparaître.

Sans doute est-ce cette émotion d’enfance qui continue à déterminer de part en part mon sentiment esthétique et sa relation à l’Histoire. Un lien intime continu à unir mon histoire dans sa factualité existentielle et dans son caractère anodin, à ce grand cycle des civilisations disparues et au sentiment de notre fin collective. Il ne s’agit aucunement d’une fascination pour la fin de l’histoire et pour la clôture des temps (et sa possible résurrection), mais de la jointure entre le temps intime vécu et le temps long des espèces vivantes, de la géologie terrestre, des puissances quasi immobiles qui se déchaînent, de ce sol qui se rompt sous nos pieds et dont nous ne sentons pas même les variations.

Chaque image, objet, assemblage, installation que j’élabore est en vue de ces deux histoires : l’existence et l’Histoire en tant que nous en ressentons la désorientation.