Un espace latent matériel / A material latent space

Dans l’architecture des réseaux neuronaux profonds, un espace latent désigne une représentation mathématique multidimensionnelle située entre les couches d’entrée et de sortie du modèle. Techniquement, cet espace est constitué par la matrice des poids synaptiques après l’entraînement, où chaque dimension correspond à une caractéristique abstraite que le système a appris à reconnaître de manière autonome. Contrairement aux espaces de représentation traditionnels — pixels pour une image, échantillons sonores pour un fichier audio —, l’espace latent n’organise pas les données selon des propriétés sensibles immédiatement intelligibles. Il les structure selon des proximités statistiques qui émergent du processus d’apprentissage lui-même : des entités perceptivement distinctes mais statistiquement corrélées (différentes races de chiens, par exemple) se trouvent positionnées de façon adjacente, tandis que des entités visuellement similaires mais statistiquement distinctes sont éloignées.
La propriété fondamentale de cet espace est sa continuité : entre deux points existe un continuum de points intermédiaires qui, lorsqu’ils sont décodés, produisent des variations graduelles et cohérentes. Les données ne sont plus appréhendées comme des entités discrètes et finies, mais comme des points dans un continuum de possibilités. Cette nature transfinie se manifeste lorsque les résultats des calculs sont réinjectés dans l’espace lui-même : la position de chaque objet évolue selon les ressemblances émergentes, créant un espace qui grandit plus vite que notre capacité à le parcourir. Cette opacité productive constitue la fameuse “boîte noire” — non pas comme inaccessibilité technique, mais comme excès génératif où les possibilités dépassent toute exhaustivité.
Face à cette abstraction computationnelle, j’ai développé une méthodologie artistique qui transpose cette logique dans la matérialité. L’adoption de profilés aluminium standardisés à 100 cm (94 cm effectifs compte tenu de l’épaisseur aux jonctions) ne constitue pas un simple choix matériel mais une méthode d’investigation des propriétés structurelles de l’espace latent. Cette méthodologie repose sur trois principes opératoires :
L’intercompatibilité généralisée comme protocole Chaque barre fonctionne comme une unité modulaire permettant des assemblages où toute configuration devient compatible avec toute autre, passée ou future. Ce n’est pas un système de construction, mais une méthodologie pour explorer comment des éléments finis peuvent contenir des potentialités infinies de reconfiguration. Le mètre carré comme mesure établit un système d’équivalences — à la manière dont l’espace latent établit des équivalences vectorielles entre données hétérogènes.
La référence méthodologique aux Incomplete Open Cubes de Sol LeWitt LeWitt a systématiquement exploré les 122 variations possibles de “ne pas faire un cube”, en retirant entre trois et onze arêtes d’un cube ouvert, démontrant comment une règle formelle finie engendre un champ transfini de variations. Le paradoxe perceptuel qu’il révèle — la structure basculant entre chaos apparent et ordre retrouvé selon les angles de vue — préfigure le fonctionnement de l’espace latent où les proximités statistiques ne sont pas immédiatement lisibles mais émergent de la navigation elle-même.
Ma méthodologie prolonge cette leçon : utiliser les profilés aluminium pour investiguer comment, à partir d’une forme géométrique élémentaire et d’un ensemble de règles limitées, on peut déployer un espace de possibles qui excède la forme initiale. Chaque assemblage n’est pas une œuvre close mais une actualisation temporaire d’un système de potentialités — à la manière dont chaque image générée par une IA est une actualisation d’un point dans l’espace latent.
Le repliement/dépliement comme méthode d’exploration Chaque configuration peut se replier ou se déplier selon les nécessités, créant un espace à la fois limité dans sa forme actuelle et illimité dans ses variations virtuelles. Cette méthodologie permet d’investiguer concrètement le paradoxe central de l’espace latent : comment une structure finie contient un autre espace, potentiellement illimité, fait de métamorphoses et de reconfigurations.
Cette méthodologie des profilés aluminium ne vise pas à représenter l’espace latent mais à en matérialiser les propriétés opératoires. Elle répond au développement d’une pratique artistique fragmentaire où chaque élément peut être isolé et, dans cette déconnexion même, être relié à n’importe quel autre élément. C’est une méthode pour comprendre comment la logique combinatoire de LeWitt rencontre la logique topologique de l’IA : dans les deux cas, il s’agit d’explorer comment une forme limitée peut déployer un espace de possibles qui la dépasse.
L’aluminium profilé devient ainsi le support d’une méthodologie expérimentale — un protocole d’investigation des rapports entre finitude formelle et infinité potentielle, entre structure discrète et continuum de variations, entre règle limitée et champ transfini de possibles. Chaque assemblage n’est pas une fin mais un moment dans un processus d’exploration méthodique de ce que signifie habiter, matériellement, les paradoxes de l’espace latent.
In the architecture of deep neural networks, a latent space refers to a multidimensional mathematical representation situated between the input and output layers of the model. Technically, this space is constituted by the matrix of synaptic weights after training, where each dimension corresponds to an abstract feature that the system has learned to recognize autonomously. Unlike traditional representation spaces—pixels for an image, sound samples for an audio file—the latent space does not organize data according to immediately intelligible sensory properties. It structures them according to statistical proximities that emerge from the learning process itself: perceptually distinct but statistically correlated entities (different dog breeds, for example) are positioned adjacently, while visually similar but statistically distinct entities are distanced.
The fundamental property of this space is its continuity: between two points exists a continuum of intermediate points which, when decoded, produce gradual and coherent variations. Data are no longer apprehended as discrete and finite entities, but as points in a continuum of possibilities. This transfinite nature manifests itself when the results of calculations are reinjected into the space itself: the position of each object evolves according to emerging resemblances, creating a space that grows faster than our capacity to traverse it. This productive opacity constitutes the famous “black box”—not as technical inaccessibility, but as generative excess where possibilities surpass any exhaustivity.
Faced with this computational abstraction, I have developed an artistic methodology that transposes this logic into materiality. The adoption of standardized 100 cm aluminum profiles (94 cm effective given the thickness at junctions) does not constitute a simple material choice but rather a method of investigating the structural properties of latent space. This methodology rests on three operative principles:
Generalized intercompatibility as protocol Each bar functions as a modular unit allowing assemblages where any configuration becomes compatible with any other, past or future. This is not a construction system, but a methodology for exploring how finite elements can contain infinite potentialities of reconfiguration. The square meter as measure establishes a system of equivalences—in the manner that latent space establishes vectorial equivalences between heterogeneous data.
The methodological reference to Sol LeWitt’s Incomplete Open Cubes LeWitt systematically explored the 122 possible variations of “not making a cube,” by removing between three and eleven edges from an open cube, demonstrating how a finite formal rule generates a transfinite field of variations. The perceptual paradox he reveals—the structure oscillating between apparent chaos and rediscovered order depending on viewing angles—prefigures the functioning of latent space where statistical proximities are not immediately readable but emerge from navigation itself.
My methodology extends this lesson: using aluminum profiles to investigate how, from an elementary geometric form and a limited set of rules, one can deploy a space of possibilities that exceeds the initial form. Each assembly is not a closed work but a temporary actualization of a system of potentialities—in the manner that each image generated by an AI is an actualization of a point in latent space.
Folding/unfolding as method of exploration Each configuration can fold or unfold according to necessities, creating a space that is both limited in its current form and unlimited in its virtual variations. This methodology allows for concrete investigation of the central paradox of latent space: how a finite structure contains another space, potentially unlimited, made of metamorphoses and reconfigurations.
This methodology of aluminum profiles does not aim to represent latent space but to materialize its operative properties. It responds to the development of a fragmentary artistic practice where each element can be isolated and, in this very disconnection, be connected to any other element. It is a method for understanding how LeWitt’s combinatorial logic meets AI’s topological logic: in both cases, it is about exploring how a limited form can deploy a space of possibilities that surpasses it.
The profiled aluminum thus becomes the support for an experimental methodology—a protocol for investigating the relationships between formal finitude and potential infinity, between discrete structure and continuum of variations, between limited rule and transfinite field of possibilities. Each assembly is not an end but a moment in a methodical process of exploration of what it means to inhabit, materially, the paradoxes of latent space.