Inscription sans fin

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Nous passons nos journées, parfois volontairement à d’autres moments involontairement, à laisser des inscriptions sur des machines locales ou distantes. Tout se passe comme si c’était devenu, en moins d’une génération, notre principale activité  et que nos existences étaient tissées par ces traces.

Le fait que le flux même de nos existences soit entrelacé avec ces inscriptions a pour résultat que celles-ci restent indifférentes et inapparentes. Nous n’y pensons pas. Nous ne les remarquons plus, nous inscrivons comme nous respirons non seulement parce que la rétention technique (la rétention tertiaire) est de plus en plus souvent automatisée, mais aussi parce que beaucoup de nos gestes s’appliquent au clavier et à la souris. Chaque interface informatique est un moyen d’archivage.

Cette archive peut être destinée à des êtres humains ou à des machines (logs). L’indistinction entre l’inscription automatique et volontaire se retrouve dans cette double finalité qui dessine une zone grise exprimant l’anthropotechnologie, c’est-à-dire l’inséparation entre l’humain et la technique, chacun d’eux produisant l’autre dans une incessante boucle.

On peut être surpris, et pour ainsi dire ému, touché à vif, face au déferlement de ces traces, à ces milliards de micro-enregistrements des événements les plus infimes. Si ceux-ci sont réduits afin de rentrer dans la machine numérique et correspondre à ses normes binaires, il n’empêche que par cet excès un autre événement s’ouvre qui les surplombent et qui donne l’odeur de notre époque historique.

L’inscription est à destination de l’avenir et de ce qui n’est pas encore dans l’exacte mesure où ce qui est inscrit, ce à quoi se réfère l’inscription est, de façon inévitable, perdu et disparaît déjà. L’inscription est un acte de décès. Elle ne permet pas de faire revenir le mort à vif. Elle est le rappel d’une disparition et la trace ne sera celle que d’une absence, place laissée vide qui écartèle notre perception.

Tout se passe comme si, à mesure que la menace de disparition s’accentuait, quelque soit la forme prise par cette menace (écologique, économique, cosmique), la quantité d’inscriptions augmentait. Il faudrait imaginer le dernier instant des derniers êtres humains affairés à inscrire coûte que coûte ce dernier souffle : l’expiration durerait une quasi-éternité et serait à une destination inconnue, revenue à la matière de son inscription dans l’attente d’un autre lecteur jusqu’alors inconnu.