Images influences
Les images générées par les réseaux de neurones sont influences. En entrée, elles le sont par divers paramètres dont des ensembles de données de médium (dataset), un code informatique, la durée d’apprentissage, l’introduction de bruit, un texte (prompt), une image ou une vidéo d’initialisation. C’est l’espace latent des probabilités qui est ainsi orienté vers tel ou tel résultat. Le champ des possibles est vectorisé, allant d’un endroit à un autre.
En sortie, la principale influence de l’image est la cognition du regardeur qui va raccrocher les pixels à une signification dont, et c’est un autre élément déterminant, le soubassement est une précompréhension culturelle. Cette dernière permet de traduire la généralité du dataset en un contexte historique et géographique déterminé, contexte qui va être modifié en retour par la reconnaissance d’une ressemblance de l’image.
En énumérant ces éléments, nous comprenons bien que nous faisons fausse route. Car ces productions ne sont pas réductibles à un ensemble de paramètres que l’on pourrait replacer dans une chaîne causale. Lorsque nous regardons ces images quelque chose d’autre s’y passe, comme si une ressemblance générale, la ressemblance du monde lui-même, ne cessait de s’y écouler. L’influence ne définit par une causalité linéaire de type déterministe où la cause produit un effet qui ne lui ressemble pas et qui, en quelque sorte, l’aliène, mais met en jeu des relations de ressemblances réciproques et récursives produisant, du fait de leur caractère inextricable, une germination visuelle : la naissance de l’image et du passage d’une forme à une autre comme monde. L’image est donc influencée autant qu’elle influence des éléments qui influent également sur elle. L’influence est donc multiple et constitue un réseau de réciprocités. L’influence est fluence.
L’influence n’appartient pas au registre des causes et des effets, mais de ce qui donne sa forme à autre chose sans la perdre. Ainsi l’influence passe d’un élément à un autre, par un étrange phénomène de traduction mimétique, elle se répand pareil à un flux. Les images générées ressemblent à d’autres images sans être ces images, l’influence permet cet air de famille généralisé. Ce qui est paradoxal dans ces images c’est qu’elles prennent toutes les formes, peuvent ressembler à à peu près n’importe quoi (on peut générer ce qu’on veut avec ces codes), tout en restant elles-mêmes puisqu’on reconnaît bien leur facture inductive et automatique. On sait que ce sont des images produites par une IA. Elles sont influencées parce qu’elles accueillent une forme venant de l’extérieur sans en être altérée. L’influence va donc avec l’imitation, avec une ressemblance sans aliénation, c’est elle qui définit l’esthétique, au sens de la sensibilité.
Toute image est en ce sens là influence, mais avec les images générées par l’IA, l’influence est plus fluxionelle encore. Il y a derrière un dataset constitué de milliers, souvent de millions, de documents qui couvrent une partie des étants mondains. Il y a quelque chose de l’encyclopédie et de l’impossible décompte de toutes choses réduites à une induction, c’est-à-dire à une généralisation.
Dans La vie sensible (2013), Emanuele Coccia développe un concept d’influence au regard de l’image d’une manière précieuse pour notre raisonnement. Il en fait le cœur de la sensibilité. Ce sont les médias qui permettent que les images influencent les regardeurs et de passer du monde psychique au monde matériel en étant affectés et passibles aux images du monde. Et c’est bien parce que les images générées par des réseaux de neurones couvrent de si importants ensembles de données que ce sont des images-mondes calculées à partir du monde des images, c’est-à-dire du Web qui a permis en à peine 30 ans, comme à aucune autre époque sans doute, une telle accumulation de médium.
L’image est une production de sensible et c’est elle qui nous fait exercer une influence sur les autres, qui nous permet de les affecter (logique que l’on retrouve d’ailleurs dans l’importance de l’image chez les influenceus.r.es). En ce sens, l’apparence ressemblante de ces images numériques est une manière pour le monde d’émettre du sensible, de faire sortir tous les objets de leur solitude pour les faire passer vers d’autres.
La forme plastique en est la métamorphose, flux mimétique que nous retrouvons précisément à l’œuvre dans ces images générées qui nous racontent un monde où la distinction des formes n’est plus aussi claire, anachronique résurgence d’un monde quasi animiste. La capacité de produire des images est en fait celle de produire pour d’autres corps du sensible, et c’est précisément cette capacité que les images de l’espace latent accentuent plus encore à partir de l’hypermnésie des images déjà existantes.
C’est la raison pour laquelle, on passera à côté de ces images si l’on réfléchit simplement à ce qu’elles sont ou à ce qu’elles font. En restant à leur attachement, on les transformera en causalité. Il faut parvenir à les approcher en ce qu’elles influencent par une ressemblance métamorphique et mimétique, non pas de telle ou telle choses, mais du monde dans sa fluxation.
Les images des réseaux de neurones sont les médias que les formes intentionnelles prennent aujourd’hui pour passer d’une âme à une autre, d’un corps animé ou inanimé, peu importe. Leur flux est la forme de ce passage qui garantit la ressemblance, et non l’identité, entre l’image et son effet. L’image n’est pas une cause qui produit des effets. Elle ne trouve pas son origine elle-même dans des causes (ce pour quoi réduire ces productions aux données qui les alimentent est une erreur qui laisse de côté la métamorphose). Elle est influencée et c’est pourquoi les images se reproduisent elles-mêmes dans les réseaux récursifs de neurones.
Elles se reproduisent comme des organismes, sans se répéter, en produisant précisément par cette reproduction mimétique d’autres images et en continuant à diffuser l’air de famille du monde, un monde métamorphosé où se mêle le factuel et le possible l’existant et l’inexistant qui demande à être. L’isomorphie de ces images ne saurait donc pas être analysée, comme c’est encore si souvent le cas, comme des répétitions de biais, mais comme une machine à produire des différences, au sens de la différenciation, de ce qui diffère, une machine de différance donc.
Le monde s’éloigne un peu à chaque itération et c’est sa forme qui se rapproche, une forme qui génère la différence. L’influence de l’espace latent est un flux, le flux de la reproduction elle-même. Il ne s’agit donc dans cette imitation nullement d’un manque d’originalité, d’une reproduction de ce qui existe déjà, mais d’un engendrement des ressemblances, de l’artifice. Les réseaux de neurones récursifs produisent des effets isomorphes sans répéter à l’identique.
The images generated by neural networks are influenced. As input, they are influenced by various parameters such as datasets, computer code, learning time, introduction of noise, a text (prompt), an image or an initialization video. It is the latent space of probabilities that is thus oriented towards this or that result. The field of possibilities is vectorized, going from one place to another, from one soul to another.
In output, the main influence of the image is the cognition of the viewer who will connect the pixels to a meaning of which, and it is another determining element, the base is a cultural preunderstanding. This last one allows to translate the generality of the dataset in a determined historical and geographical context, context which will be modified in return by the recognition of a resemblance of the image.
By enumerating these elements, we understand well that we make a mistake. Because these productions are not reducible to a set of parameters that we could put back in a causal chain. When we look at these images something else happens, as if a general resemblance, the resemblance of the world itself, did not stop flowing. The influence does not define a linear causality of deterministic type where the cause produces an effect which does not resemble to him and which, in some way, alienates him, but puts in play relations of reciprocal and recursive resemblances producing, because of their inextricable character, a visual germination: the birth of the image and of the passage of a form to another one as world. The image is thus influenced as much as it influences elements which also influence it. The influence is thus multiple and constitutes a network of reciprocities.
The influence does not belong to the register of the causes and the effects, but of what gives its form to another thing without losing it. Thus the influence passes from an element to another, by a strange phenomenon of mimetic translation, it spreads like a flow. The generated images resemble other images without being these images, the influence allows this generalized family air. What is paradoxical in these images is that they take all forms, can resemble almost anything (one can generate what one wants with these codes), while remaining themselves since one recognizes well their inductive and automatic invoice. We know that these are images produced by an AI. They are influenced because they receive a form coming from the outside without being altered. The influence goes therefore with the imitation, with a resemblance without alienation, it is it that defines the aesthetic, in the sense of the sensibility.
Any image is in this sense there influence, but with the images generated by the AI, the influence is even more fluxional. There is behind a dataset constituted by thousands, often by millions, of documents that cover a part of the worldly states. There is something of the encyclopedia and the impossible counting of all things reduced to an induction, that is, to a generalization.
In The Sensitive Life (2013), Emanuele Coccia develops a concept of influence with regard to the image in a way that is valuable to our reasoning. He makes it the heart of sensibility. It is the media that allow the images to influence the viewers and to pass from the psychic world to the material world by being affected and susceptible to the images of the world. And it is because the images generated by neural networks cover such important data sets that they are world-images calculated from the world of images, that is to say from the Web, which has allowed in barely 30 years, as in no other time, such an accumulation of media.
The image is a production of sensible and it is it that makes us exert an influence on the others, that allows us to affect them (logic that we find besides in the importance of the image at the influenceus.r.es). In this sense, the resembling appearance of these numerical images is a way for the world to emit sensitive, to make leave all the objects of their solitude to make them pass towards others.
The plastic form is the metamorphosis, mimetic flow that we find precisely at work in these generated images that tell us a world where the distinction of the forms is not so clear any more, an anachronistic resurgence of a quasi animist world. The capacity to produce images is in fact that to produce for other bodies of the sensitive, and it is precisely this capacity that the images of the latent space accentuate more still from the hypermnesia of the already existing images.
This is the reason why, one will miss these images if one simply reflects on what they are or what they do. If we remain attached to them, we will transform them into causality. We must succeed in approaching them in what they influence by a metamorphic and mimetic resemblance, not of this or that thing, but of the world in its fluxation.
The images of the neural networks are the media that the intentional forms take today to pass from a soul to another, from an animated or inanimate body, it does not matter. Their flow is the form of this passage which guarantees the resemblance, and not the identity, between the image and its effect. The image is not a cause that produces effects. It does not find its origin itself in causes (for what to reduce these productions to the data which feed them is a mistake which leaves aside the metamorphosis). It is influenced and this is why the images reproduce themselves in the recursive networks of neurons.
They reproduce themselves like organisms, without repeating themselves, producing precisely by this mimetic reproduction other images and continuing to diffuse the family air of the world, a metamorphosed world where the factual and the possible, the existing and the non-existent that asks to be is mixed. The isomorphy of these images could not be analyzed, as it is still so often the case, as repetitions of bias, but as a machine to produce differences, in the sense of differentiation, of what differs, a machine of differentiation therefore.
The world moves away a little at each iteration and it is its form that comes closer, a form that generates the difference. The influence of the latent space is a flow, the flow of the reproduction itself. It is thus not a question in this imitation of a lack of originality, of a reproduction of what already exists, but of a generation of the resemblances, of the artifice. The recursive neural networks produce isomorphic effects without repeating identically.