Génération d’images abstraites et concrètes

Lorsqu’on aborde la génération visuelle, on présente le plus souvent des images abstraites, des fractales, des lignes et des pixels, des particules et des organismes, etc. Parfois, on y intègre du texte généré, les mots devenant alors à leur tour des images selon une modalité qui reste fort différente de la génération visuelle proprement dite parce que le passage du texte à l’image reste extérieur au processus de génération elle-même

Par commodité de langage je désigne par image concrète les images représentant explicitement une réalité mondaine. Même si la division entre abstraction et concrétude est parfois trouble, je trace une polarité afin de rendre compréhensible ma proposition. J’aimerais questionner la possibilité d’une génération visuelle concrète, c’est-à-dire d’un programme pouvant produire des images dont la référence est mondaine.

Si on tente de prendre cette question au premier degré et qu’on tente de voir si on peut réellement écrire un programme qui produit, par exemple un film qui ne serait pas abstrait, on doit d’une manière ou d’une autre avoir une bibliothèque d’objets par exemple 3d dont l’agencement varie et entre lesquels on circule par une caméra au parcours variable. Il s’agit alors moins de génération que de variabilité parce qu’il est difficile (impossible?) de générer entièrement des images concrètes dans la mesure ou il n’existe par de morphologie mondaine intégrale, il n’existe que des séries et des singularités contingentes. Ce qui pourrait alors se rapprocher le plus d’une génération concrète est une biologie dotant des pixels de comportements. Mais là encore ce qu’on génère ce sont des comportements, les formes restant encore abstraites ou étant des bibliothèques préalables dont les parties peuvent être réagencées aléatoirement.

La question reste entière et pour y répondre il faut en déplacer le niveau sur lequel l’image se constitue en tant qu’image. Il faut donc revoir notre conception de la genèse des images. Vouloir générer mathématiquement des images concrètes semble une entreprise vaine parce qu’elle présuppose une mathesis universalis explicite, c’est-à-dire une corrélation entre les opérations mathématiques et la référence au monde. Ce qu’on peut par contre générer ce sont des relations entre des images concrètes. Un exemple extrêmement simple est l’installation If Then, logical imaginary (2009) qui pioche au hasard sur Internet deux images et qui tire aléatoirement un connecteur logique. La génération porte donc sur la relation qui produit de la sémantique plutôt que sur l’image en tant que forme, et sans doute ce déplacement est-il inhérent à la différence entre image abstraite et image concrète. Dans le premier cas, l’abstraction est une forme solitaire. Dans le second cas, l’image concrète est une mise en relation parce qu’elle est toujours, dans son isolement même, au monde, et c’est pour cela qu’il est difficile de générer des formes d’images concrètes. En effet, celles-ci n’ont pas de forme dans leur solitude, la seule forme est le monde et c’est pourquoi on peut après coup y distinguer une forme solitaire (entendez séparée). Il n’y a pas d’abord un objet qui entre ensuite dans le monde, la genèse de l’objet est au monde et du monde à l’objet. De sorte que pour les générer il faudrait constituer un monde en sa totalité, la perception s’occupant ensuite d’y opérer des coupes nommées images concrètes. La génération concrète s’occupe des relations et des solitudes non des formes parce qu’elles sont un accès au monde rendu discret. On peut parler en ce sens de génération d’images concrètes dans La révolution a eu lieu à New York (2002), non pas parce que chaque image trouve sa genèse dans un programme informatique, mais parce que le stock préalable des images, que celles-ci soient enregistrées sur mon serveur ou chargées à partir d’Internet, est agencé selon une logique générative. L’agencement des images concrètes n’est pas quelque chose qui s’ajoute aux images, l’agencement fait partie intégrante des images, de la même manière que chose et monde sont coémergents, et c’est pourquoi on doit considérer les images comme des modes non comme des choses compactes. La mise en relation, le montage et la rupture, au-delà même des formes prises, définissent de part en part la concrétude des images concrètes.