Obsolète
Un sentiment d’étouffement, une nouveauté en chasse une autre, pas seulement dans le cadre de la production industrielle du consumérisme, cette bien étrange façon de lier les affects aux objets normalisés, mais aussi dans les élites culturelles. Elles ne sont plus que leur propre souvenir. Elles se rappellent de ce qu’elles ont été, voilà un siècle déjà. Tant de livres, quelques images. certains artistes. Des mots circulaient de bouche en bouche, des intuitions, une fulgurance., terminée à présent. Le flux est devenu incessant, Facebook, Twitter et Google, le réseau qui capture l’attention, l’agitation du On est sans borne quand on écoute son bourdonnement. Dans leurs résistances mêmes, elles sont devenues les alliés objectifs de la domination. Cette dernière est sans borne, elle intègre tout d’avance, l’immonde, l’infect, le minoritaire, le sans nom. L’intelligence se refuse encore un peu à elle, tant elle fait perdre du temps là où il faut en gagner toujours plus. Mais même là, aucune extériorité, ça s’intègre d’avance. Une folie : l’ordre et le flux excessif, dérangement qui n’aura été possible qu’au prix d’un immense arrangement. Il aura fallut changer radicalement tous les flux : ceux de la physis comme de la technè, celle des organismes comme de l’économie et de la politique.
Nous ne savons plus créer. La création était toujours hantée par ses pairs, par un héritage et une tradition. Mais il s’agit encore de bien autre chose. Nous sommes devenus les échos passifs d’une situation que nous n’avons pas choisi. Nous voyons des formes, plaisantes ou déplaisantes, dérangeantes, peu importe, nous les absorbons, les faisant nôtres avant même qu’elles n’apparaissent. Et voici déjà autre chose. La naissance et la mort des choses dans un cycle continu. Nous cherchons bien une structure à tout cela, une manière de surplomber la situation et d’y voir clair, quelque chose existe dont les choses sont les symptômes. Nous cherchons, nous répétant d’autres mots, mais le flux jamais ne s’interrompt. Nous abandonnons la structure, nous plongeant dans ce flot continuel de formes, d’images et de sons. À peine né, déjà mort. Nous mourrons à mesure que nous respirons sous cette eau.
Ce sont des images et d’autres sortes de signaux, ce sont aussi les existences anonymes qui nous encerclent. L’agitation du “on” qui est devenue si forte et frappante. Nous ne croyons pas au retirement, au silence des cavernes, à ceux qui, comme Z., reviennent dans la Cité. La domination prend toutes les formes, les nôtres aussi. Vasari estimait, en formant la Renaissance, que l’art véritable était une antériorité perdue qu’il fallait retrouver. Ce n’est plus le passé qui nous fait défaut, mais l’avenir.