Le mode de présentation du netart
Parfois on me demande d’exposer dans un espace muséal des oeuvres créées pour Internet. Je n’ai pas en la matière une réponse toute faite car la relation d’un dispositif à un contexte est complexe et variable. Ce que j’ai par contre remarqué c’est que dans de nombreux cas un tel transport dans un espace de monstration est malaisé et que cette difficulté joue le rôle de révélateur du mode d’être du netart.
Par exemple. Cette absence (2012) est imprésentable en l’état. Il s’agit d’un logiciel que l’internaute télécharge sur sa machine et qui prendra par surprise une image avec la webcam, image qui sera envoyée sur l’email de l’utilisateur selon une temporalité contingente. Dans cette oeuvre c’est la jonction entre une personne particulière et une temporalité longue puisqu’on y fait retour selon une durée qui n’est pas définie à l’avance qui oblige, si on veut l’exposer, à en présenter seulement les résultats sans pouvoir l’activer dans son fonctionnement original. Un musée, une galerie étant en effet destinés à plusieurs personnes (le public) et adoptant une temporalité courte d’usage. Ce que nous révèle cet exemple c’est que de nombreux travaux en réseau sont inadaptés à la monstration classique du fait de leur modalité d’usage et de perception. Elles s’inscrivent dans un temps et un espace difficilement reproductibles. Plus encore, elles ont souvent une relation particulière aux individus. Elles ne se présentent pas comme des objets en soi posés en station dans un espace “neutre” mais comme des objets destinés dont l’individuation est solidaire de la perception. Et quant bien même il y aurait dans certaines de ces oeuvres de la solitude et de l’autonomie, comme avec Capture (2009), elles s’offrent dans l’espace intime du domicile permettant l’élaboration d’une temporalité qui n’est pas cadrée par une entrée et une sortie dans un espace exceptionnel tel que le musée. C’est d’ailleurs quand le netart a un lien fort avec son médium et son contexte socio-technologique, qu’il devient difficilement déplaçable dans l’espace muséal. Tout se passe comme si on ne pouvait y accéder qu’avec sa machine et dans un espace connu tel que le domicile ou le lieu de travail. Ce sont les animations classiques, les gifs de toutes sortes et les représentations et visualisations de phénomènes en réseau qui trouvent aisément leur place parce qu’ils se tiennent à distance de la structure d’Internet.
Cette hétérogénéité n’est bien sûr pas systématique, mais elle constitue dans certains cas un signal important. À la différence de la vidéo qui peut souvent être présentée dans un espace muséal sans adaptation majeure, le netart contient sans doute plus de résistance intrasèque. C’est comme si l’objet lui-même était inadapté et ne parvenait pas à se fondre dans l’espace d’exposition et dans la manière dont nous accédons à l’art : la solitude d’un objet dont la solitude est une donation et la condition d’une corrélation. Si on analyse cette inadaptation en mettant en relation un espace déterminé à la constitution d’un certain pouvoir (l’économie bourgeoise par exemple ou la démocratie représentative), alors cette incompatibilité partielle devient le signe d’une époque et d’une crise qui transforme certains de nos modèles perceptifs.