Autophagie = flux + feedback
Certaines oeuvres produisent un flux particulier, c’est l’autophagie. Elles se réapproprient le concept cybernétique de feed-back en le détournant de son sens initial pour en faire une causalité folle. On le sait le feed-back est l’un des concepts les plus importants de la cybernétique, car il permet d’expliquer la régulation d’un système tant machinique que biologique. Il fonde cette étrange causalité cybernétique dans laquelle les entrées et les sorties forment un monde clos.
Avec les dispositifs artistiques le feed-back se dévore lui-même, les entrées et les sorties s’annulent et interagissent entre elles selon une causalité sans fin ni début. Cette forme très particulière de feed-back artistique est la source d’un flux particulièrement intéressant. Ce sont en effet des oeuvres sans début ni fin, souvent autonomes c’est-à-dire solitaires, travaillant elle-même toute seule sans aide de l’être humain, ces machines sont ahumaines. Ce sont là des caractéristiques du flux, et avec elle on a du mal à séparer les opérations discrètes de la structure programmatique continue, proposant par la même un trouble que l’art des flux n’a cessé de manier le long de son histoire.
Ce qui est extraordinaire dans ce feed-back artistique et qu’il est autophagique, il se dévore lui-même parce que le feed-back est considéré, pour reprendre un concept cher à Jacques Derrida, comme auto-immune. Le concept d’autophagie est particulièrement utile, riche, stratifié : qu’est-ce que se manger soi-même? Qu’est-ce que dévorer ses entrailles? S’ouvrir le ventre pour manger ses viscères? Telles sont les images de ces machines se dévorant elle-même dans une boucle infernale. C’est l’image du cercle commune au feed-back cybernétique et à éternel retour nietzschéen.
Il faudrait dès lors établir une typologie, temporaire et flottante, pour cette autophagie technologique, pour cette dévoration du flux, pour ce feed-back devenu fou. Si je ne cite ici que quelques liens, j’aimerais amener une première distinction entre les autophagies intensives et les autophagies répétitives.
Les premières, celle qui nous semble intéressante d’un point de vue artistique, ont une disproportion entre les entrées et sorties. Quelque chose ne va pas entre ce qui rentre et ce qui sort, entre le fonctionnement et l’utilité, ce décalage est ce qui à mon sens produit un sentiment esthétique intéressant et intense.
Les secondes, les plus fréquentes, sont de piètre qualité parce qu’elles reprennent le plus souvent des machines préexistantes dans le domaine industriel et ne font que les déplacer dans le domaine artistique. On pourrait les justifier en tant que ready-made, toutefois parce qu’elles ne transforment pas la fonction initiale mais seulement le contexte elle ne relève pas de cette tradition ou de cette logique. Dans le ready-made il y a un dysfonctionnement, quelque chose qui suspend l’instrumenalité. Avec les autophagies répétitives il n’y a qu’un feed-back au sens classique du terme, ni plus ni moins, et le déplacement dans le contexte artistique qui a été opéré ne produit finalement qu’un jugement moral sur l’instrumentalité initiale prévue par le marché.
C’est donc entre la cause effet, entre la bouche et l’anus, dans ce qui se digère, dans cette transformation, que quelque chose de l’ordre de l’événement peut émerger. Peut-être que dans cette autophagie qui met en feed-back le flux, il est question du mystère du corps : on ne sait pas ce que peut un corps disait Spinoza.
http://gwei.org
http://www.iterature.com/human-browser/fr/
(cette liste sera complétée)