L’académisme contemporain
Les critiques portées à l’art contemporain fleurissent. Sans doute ont-elles toujours existées, mais tout se passe comme si aujourd’hui elles avaient une nouvelle vigueur. Elles embrassent un champ vaste, allant du dénigrement par le sens commun pour l’activité artistique comme telle, à des approches plus argumentatives. Leur travers consiste souvent à tomber dans la réaction, et on a le sentiment en les lisant qu’il est fort difficile de critiquer certains excès de l’art contemporain sans tomber dans une vision naive et classique de l’art. Tout se passe comme si pour critiquer le conformisme de l’art contemporain il fallait faire machine arrière et remettre en cause la pertinence de Marcel Duchamp, Andy Warhol, Daniel Buren, et quelques autres, l’art conceptuel servant le plus souvent d’épouvantail.
S’il est d’une part absurde de critiquer en général l’art contemporain, puisqu’il s’agit d’entreprises singulières et parallèles dont l’homogénéité n’est pas prouvée a priori, il n’empêche qu’un certain sentiment de notre temps nous signale la coalescence entre certaines formes académiques en art et les pouvoirs en place. Il y aurait donc une bonne et une mauvaise critiques, laissant en suspend la question de savoir comment cette dernière pourrait éviter d’être réactionnaire.
Deux éléments de méthode me semblent nécessaire : l’historicisation des pratiques. Si on peut être insatisfait de certains effets du readymade aujourd’hui, ce n’est pas pour autant que celui-ci n’était pas à une époque déterminée une forme artistique intéressante parce que venant troubler les attentes perceptives du public. Le danger d’une telle historicisation est le culte moderniste du nouveau consistant à créer une histoire de l’art chronologique avançant de décennie en décennie. L’art est aussi fait de reprises, de liens temporels inattendus, de questions qui ne sont jamais résolues et qui peuvent être rejouées. Mais cette achronologie de l’art est toute différente que la reprise passive de problématiques passées, permettant à certains artistes de se mettre dans l’ombre d’aînés déjà reconnus, plutôt que d’inventer une singularité inattendue. Il faut donc analyser au cas par cas le degré d’intensité des références en séparant ce qui relève de la reprise active et du “meme’ passif. Le “meme” donne un sentiment de déjà vu fade et confirme les structures en place. Il faut par ailleurs accepter que les formes dominantes d’art soient des reliques fétichisées d’intensités perdues.
Deuxièmement, la critique institutionnelle, qui est elle-même historiquement placée, et une attention aux structures de pouvoir, peut être un élément déterminant pour analyser les origines de l’académisme en art. La coalescence des écoles d’art, des subventionneurs, la production des dossiers de subventions et d’une logique de la justification et du commentaire, ont des effets extrêmement concrets sur la production matérielle des oeuvres. Cette coalescence permet de définir très précisément les formes opérationnelles de l’académisme contemporain. Mais il serait par ailleurs absurde de vouloir qu’une institution, quelle qu’elle soit, n’induise pas un certain conformisme. Il serait absurde de croire qu’un musée, qu’une université, qu’un ministère de la culture ne soient pas une structure de pouvoir, académique et normalisante. Sans doute le fantasme d’une institution en mouvement, sachant se contester, se déconstruire, produisant en elle les conditions d’une révolution, est-il le legs des utopies politiques du XXème siècle, et sans doute faut-il savoir se tenir à sa marge, tel un déplacement décentré à proximité du centre. L’enjeu de la critique est de comprendre la nécessité, non de juger celle-ci, c’est ce qui lui permet d’éviter le ressentiment.