Émancipation inductive / Inductive emancipation
On ressent un enthousiasme et une gêne, une ambivalence par rapport aux émancipations contemporaines. Bien sûr, on se sent de ce côté, on y participe à des degrés divers, on en connaît la légitimité et la nécessité, on se dit « enfin ».
Mais une certaine logique les infiltre parfois, les traverse, les constitue dans la communauté de leur discours oral plutôt qu’à l’écrit. On entend l’énonciation de catégories : blanc, noir, homme, femme, hétéro, etc., et chacune de ces catégories sont caractérisés de telle ou telle façon. Le danger est alors que la catégorie, qui est une induction sociologique, une moyenne, une statistique, ne recouvre la singularité de chaque cas particulier.
Car que désignent finalement ces mots ? Des entités abstraites ou concrètes ? Cette vie ou cette autre vie ? Chaque cas est-il redevable de la catégorie ? En d’autres termes, quand on est un cas de la catégorie, a-t-on nécessairement les caractéristiques rattachées à celle-ci ? Par exemple, quand on dit « homme blanc », suis-je, en tant qu’interlocuteur, redevable de ce que l’on affecte à ce mot ? Suis-je un dominant par défaut ? Et une femme, par exemple, est-elle dominée par défaut ? Il y a là une confusion, et pour tout dire une simplification, entre la validité d’une catégorie sociologique définie par des statistiques, c’est-à-dire par une induction qui partant de la multiplicité des cas en tire une moyenne, et une autre réalité qui est celle d’un vivant, d’une existence dans un contexte déterminé qui peut, selon les changements de ce dernier, être dominé, dominant ou ne pas répondre à cette logique.
Ce réductionnisme confus est, je crois, une conséquence dans le sens commun de la généralisation de la méthode inductive à un nombre croissant de domaines de connaissance. On prend la multiplicité, on en fait une moyenne générale et on affecte celle-ci, sous la forme d’une norme prédictive, aux sujets de la multiplicité initiale. Entre temps, la spécificité de chaque cas, qui est une configuration passagère, est purement et simplement occultée au profit d’une anticipation préformative.
Par ailleurs, cette induction présuppose le caractère identifiable de la multiplicité qui serait décomposable comme autant d’éléments. Or, si on identifie c’est qu’on suppose plus encore l’identité, c’est-à-dire la transparence du retour à soi comme adéquation : tel sujet est ceci et cela, et ceci est cela a telle et telle caractéristique dont la variabilité est anecdotique.
L’un des enjeux de l’émancipation est de ne jamais céder à ce réductionnisme, car ce dernier est le fondement de toute domination : l’usage d’un langage qui soumet les phénomènes à son ordre (l’humanisme et l’universalisme en sont d’autres formes) et qui a cette fin exclue. En ce sens, une politique trans de la désidentité semble être l’une des seules logiques abductives qui garantie à l’émancipation de ne pas se retourner en son contraire parce qu’elle produit autant de catégories singulières qu’il y a de “sujets” et qu’ainsi elle déconstruit les assignations tout en reconnaissant la validité, dans un autre ordre, des généralités sociales. Elle ne sait pas qui je suis.
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One feels enthusiasm and discomfort, an ambivalence in relation to contemporary emancipations. Of course, one feels on their side, one participates in them to varying degrees, one knows their legitimacy and necessity, one says to oneself “at last”.
But a certain logic infiltrates them, runs through them, constitutes them in the community of their discourse. We hear the enunciation of categories: white, black, man, woman, hetero, trans, etc., and each of these categories is characterized in such and such a way. The danger is then that the category, which is a sociological induction, an average, a statistic, does not cover the singularity of each particular case.
For what do these words ultimately mean? Abstract or concrete entities? This life or this other life? Is each case indebted to the category? In other words, when one is a case of the category, does one necessarily have the characteristics attached to it? For example, when one says “white man”, am I, as the interlocutor, indebted to what one assigns to this word? Am I a dominant by default? And is a woman, for example, dominated by default? There is a confusion, and in fact a simplification, between the validity of a sociological category defined by statistics, that is to say by an induction which, starting from the multiplicity of cases, derives an average from it, and another reality which is that of a living person, of an existence in a given context which may, depending on the changes in the latter, be dominated, dominant or not respond to this logic.
This confused reductionism is, I believe, a consequence in the common sense of the generalization of the inductive method to a growing number of fields of knowledge. One takes the multiplicity, makes a general average of it and assigns it, in the form of a norm, to the subjects of the initial multiplicity. In the meantime, the specificity of each case, which is a passing configuration, is purely and simply obscured.
Moreover, this induction presupposes the identifiable character of the multiplicity, which could be decomposed as many elements. However, if we identify is that we assume even more identity, that is, the transparency of the return to oneself as adequacy: such and such a subject is this and that, and this and that has such and such a characteristic whose variability is anecdotal. One of the challenges of emancipation is to never give in to this reductionism, because the latter is the foundation of all domination: the use of a language that subjects phenomena to its order. In this sense, a trans politics of disidentity seems to be one of the only abductive logics that guarantees that emancipation does not turn into its opposite because it produces as many singular categories as there are “subjects” and thus deconstructs the assignments while recognizing the validity, in another order, of social generalities. It doesn’t know who I am.