Le désir des objets
« Elle soutenait qu’il ne suffisait pas de les connaître, les noms des objets, mais qu’il fallait aussi les sentir, les toucher du bout de la langue, les caresser pour en éprouver de la chaleur, la consistance, l’odeur et la rugosité, la dureté, le son qu’ils rendaient lorsqu’on tapait dessus, toutes choses que ma mère appelait leur « réponse » ou leur « résistance » : chaque matière, affirmait-elle, chaque étoffe, meuble, ustensile ou aliment, chaque objet possédait différents degrés de réponse ou de résistance, qui n’étaient pas immuables mais pouvaient se modifier en fonction des saisons, du jour ou de la nuit, de celui qui les touchait ou les respirait, de la lumière, de l’ombre et même de mystérieuses inclinations que nous étions incapables de comprendre. Ce n’était pas un hasard si l’hébreu désignait un objet et le désir par le même mot. Nous n’étions pas les seuls à désirer ou non telle ou telle chose, le monde minéral et le végétal possédaient eux aussi une sorte de sens intérieur du désir ou du non-désir qui leur était propre, distinct du notre, et seul celui qui savait toucher, écouter, goûter et sentir de manière désintéressée pouvait parfois le concevoir. »
Amos Oz, 2002, Une histoire d’amour et de ténèbres, Gallimard, Folio, p. 616.