Depuis le moment

caroline mesquita

Je ne savais pas ce qu’elle était devenue. Nous devions avoir 17 ou 18 ans, nous nous étions cherchés, chaque tâtonnement nous avait détruit. Nous nous faisions mal en nous touchant. Il n’y avait nulle amitié ou affinité, simplement ce désir de se rapprocher sans même vouloir se connaître. Nous étions effrayés et réjouis. Elle s’était effondrée. Je me suis aussi effondré, pour la première fois. La blessure fut béante, insensée, elle aspirait tout, ma vie même, sa possibilité la plus minime. J’imagine que ce fut aussi le cas pour elle. Je ne l’ai vu pleurer qu’une fois. Elle a disparu. Elle me laissa sans nouvelle. Il fallait bien se sauver. J’ai respecté ce silence, j’ai désiré cette distance. Je n’ai jamais su ce qu’elle était devenue. Était-elle même encore vivante ? Des années sont passées. Le mal a disparu. J’ai cherché partout sur le réseau, son nom, son visage, une trace, n’importe quoi. Je n’ai rien trouvé. Il ne restait rien. Avait-elle changée de nom ? Était-elle morte ? Que s’était-il passé ? J’ai contacté son frère que je ne connaissais pas. Il ne m’a pas répondu. J’ai retrouvé le téléphone de ses parents. Je suis retourné sur les lieux du crime avec Streetview. J’ai parcouru à nouveau cette rue en pente que j’avais dévalé lorsque je l’avais abandonné encore une fois me disant qu’ainsi j’avais perdu le seul amour véritable, et que je le faisais en connaissance de cause, me sacrifiant pour elle, pour qu’elle puisse continuer, parce qu’avec moi ce n’était pas possible. J’avais alors senti un froideur inhumaine, au fond des larmes. Je ne la connaissais pas. Je ne savais pas qui elle était et ce qu’elle ressentait, quel était ce corps. Il n’y avait plus que la peau. La seule trace que j’avais trouvé était quelques références à un mémoire de maîtrise. Avait-elle continuée ? Ce n’était plus la même personne, 25 ans s’était passé, mais j’aurais voulu savoir, pour rien, ce qu’elle était, peut-être pour la première fois, et à distance.