Décoration atmosphérique

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Ces derniers jours, je réalise une vidéo pour une installation créée avec Goliath Dyèvre qui sera exposée au Centre Pompidou l’année prochaine. Ce montage durera 3 ou 4 heures, la durée est encore indéterminée, mais ce qui m’apparaît immédiatement est le fait qu’elle n’est pas construite selon une dramaturgie permettant de capturer l’attention du regardeur.

Il s’agit plutôt d’une image d’ambiance qui peut se dérouler en arrière-plan d’une autre activité. On peut la regarder pendant quelques secondes ou pendant une durée plus longue, cela finalement importe peu. Les images ne sont pas le centre de l’activité. On n’a pas à se focaliser dessus et à abandonner tout le reste. On peut flâner, regarder, se détourner, car les images imperturbablement continueront à défiler.

Les images sont sans nous, peut-être parce qu’elles existent en un nombre si grand sur le réseau Internet qu’elles dépassent nos capacités de perception, et c’est pour cette raison qu’elles ne nous attendent pas, qu’elles ne s’adressent pas à nous. Elles sont en ce sens sans destination incluse dans leur conception, même si bien sûr elles peuvent être perçues. Et c’est pourquoi leur relation à la narration n’est pas stable. Elles naviguent entre l’image-narration, l’image-instrument et l’image-décoration, c’est-à-dire quelque chose qui existe en arrière-plan même en notre absence. Il faut déconstruire la critique de la notion de décoratif.

On pourrait estimer que ces montages ne sont pas intéressants, mais ce serait oublier combien la narration classique, et tout particulièrement la capture contemporaine de l’attention par les images, occulte la perception en la concentrant en un seul point et transforme cette dernière en attention, c’est-à-dire en agitation inexprimée. Si l’on désire imaginer un flottement libre de la perception alors il faut bien prendre ce risque de l’inattention, du neutre, du déséquilibre et du désintérêt. Il faut bien ne plus se laisser piéger par l’identification et la représentation. Il faut bien revenir à quelque chose qui relève, d’un certain point de vue, de la décoration, c’est-à-dire d’images qui n’exigent pas toute notre attention. On peut les regarder ou pas. On peut passer à côté ou pas.

C’est pourquoi le montage n’est plus ici, comme dans le cas du cinéma, synchronisé à une respiration du regard, lorsque l’on passe d’une image à une autre un peu trop tôt ou trop tard. Le montage n’est pas ici destiné au regardeur, mais simplement à la dynamique même des images. Plus besoin d’ellipse, plus besoin de ces raccourcis pour que ça devienne du perceptible. On pourra bien montrer des personnages manger pendant 1 heure, sans coupure, parce qu’ils mangent pendant cette durée, plutôt que de soumettre leur temporalité à ce que la perception humaine est capable, dans ce dispositif scopique d’ingérer, c’est-à-dire à peine une minute.

La décoration est une image un peu en retrait de la perception. Elle s’accroche au mur et appartient ainsi à la durée du bâtiment. Elle peut existe sans nous. C’est sans doute, en retour, cette conscience perceptive que nous avons de cette solitude, qui peut nous affecter au-delà même de ce que les images pourraient communiquer. Ainsi, je n’essaye plus de monter cette vidéo en me demandant comment la rendre intéressante, mais simplement en percevant le fonctionnement des images. Le montage peut être linéaire, comme ce sera cas ici, ou généré en temps réel, comme ce fut le cas dans nombreux de mes autres travaux. Les images deviennent, par cette non-capture de la perception, une atmosphère dans laquelle nous baignons. L’immersion n’est plus fonction d’une capture exclusive qui totalise et unifie, mais d’une perception grise de faible intensité. C’est cet exercice aux limites neutres de la perception qui pourra nous affecter à travers une émotion de l’indifférence.