Méthode de déconstruction discursive / Method of discursive deconstruction
Il s’agit d’une proposition de méthode permettant de déconstruire le sens commun, non pour le critiquer, mais pour l’analyser comme un précieux symptôme dont l’impensé est ce qui mérite d’être pensé.
1. Repérage cartographique
Chacun d’entre nous passe du temps sur les réseaux sociaux et à lire des médias de masse. Si on peut être agacé par leur vacuité, il faut au contraire les analyser précisément comme étant le bruit du sens commun. Ce dernier n’est pas vide de sens, mais sa signification est inconsciente. En effet, les mots utilisés, les raisonnements adoptés le sont de façon passive dans la mesure où ils héritent d’un champ de signification construit historiquement et naturalisé dans le discours comme allant de soi qui masque ses origines construites.
2. Récurrences
On établit les formes récurrentes de ces discours, ce qui se répète indépendamment des positions défendues par tel ou tel texte. Anti ou pro-AI, peu importe car on suppose une affinité plus profonde. En particulier on s’intéresse aux impensés qui sont souvent des prémisses qui semblent aller de soi. Celles-ci ne sont jamais évidentes et sont des constructions historiques, ayant un début, un développement et une fin. Par exemple quand on identifie l’art à la création ou quand on suppose que l’intelligence est attribuable à l’être humain ou que la technique est un outil que l’être humain doit utiliser selon sa volonté. Ces trois idées, que ces discours ne prennent jamais la peine de démontrer, semblent évidentes, mais elles sont le produit d’une construction progressive au cours de l’histoire qui a contenu et retenu d’autres possibilités qui sont coprésentes avec celles qui se sont actualisées et qui sont devenues dominantes.
La déconstruction de l’impensé des prémisses consiste à les dénaturaliser et à en montrer le caractère relatif. Il s’agit moins d’en critiquer le contenu que d’en questionner l’inconscience et la non-problématisation, c’est-à-dire les déconstruire comme argument d’autorité. Cette déconstruction permet de s’infiltrer dans des interstices historiques, un partage entre le factuel et le contrefactuel ou alterfactuel.
3. Symptomatologie
À partir du tableau de cet impensé du sens commun, on procède à une symptomatologie en renversant toutes les propositions : l’art n’est pas une création, l’intelligence n’est pas humaine, la technique n’est pas instrumentale, etc. Il ne s’agit pas d’adopter le point de vue inverse, mais par un tel renversement de faire vaciller l’évidence de ces propositions, de changer nos habitudes de pensée. Il y a tout de même là un certain travail du négatif et le jeu d’un mauvais esprit.
Cette symptomatologie va consister à analyser les discours, non pas seulement comme des propositions de vérité, mais comme un complexe d’affects dont l’agencement est ambivalent. Sa formule est l’enthousiasme conjuratoire où on est fasciné par ce qui terrorise selon un retournement incessant des affects. Les discours mettent en scène leur objet, y projettent leurs propres fonctionnements et opérations. Ainsi, on conteste l’intelligence de l’IA pour, en sous-main au coeur du discours, s’attribuer sans discussion possible cette faculté, car si elle ne l’a pas c’est bien que je l’ai. On détourne donc l’attention du véritable objet de ses pensées, l’impensé est ce qui pense.
L’une des formes les plus fréquentes de cet impensé est l’assimilation de toutes opérations mathématiques à une déshumanisation, simplification, réduction, etc. On se laisse la liberté de penser que ces opérations sont plus ambiguës et on procède ainsi à une suspension des croyances et des évidences.
Cette traduction des discours en des complexes affectifs ambivalents où les oppositions sont factices permet d’établir une structure des raisonnements entre l’absolu qui enthousiasme et la finitude qui est conjurée.
4. Le retour du refoulé
Une fois que cette symptomatologie et le mauvais esprit ont été réalisés, on procède à un retour du refoulé. On reprend l’ensemble des propositions impensées et on met en relation ces prémisses discursives avec les structures historiales (au sens d’une histoire factuelle et possible, prenant en compte l’irréalisé) pour ramener à la surface ce qui est occulté et ce qui s’oublie dans les discours. Cet impensé, historialement structuré, permet de faire émerger une nouvelle forme de la pensée qui est réflexive, c’est-à-dire qui situe ses prémisses de façon explicite. Ceci permet d’élaborer de nouvelles propositions discursives qui ne répètent pas le bruit idéologique du commun et qui ont une agentivité historiale.
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It is a proposal for a method that allows us to deconstruct common sense, not to criticize it, but to analyze it as a precious symptom whose unthought is what deserves to be thought.
- Mapping
Each of us spends time on social networks and reading mass media. If we can be annoyed by their emptiness, we must on the contrary analyze them precisely as the noise of common sense. The latter is not meaningless, but its meaning is unconscious. Indeed, the words used, the reasonings adopted are passive insofar as they inherit a field of meaning historically constructed and naturalized in the discourse as self-evident which masks its constructed origins.
- Recurrences
We establish the recurrent forms of these discourses, what is repeated independently of the positions defended by this or that text. Anti or pro-IA, it doesn’t matter because we assume a deeper affinity. In particular, we are interested in the unthinkable, which are often self-evident premises. These are never self-evident and are historical constructions, having a beginning, a development and an end. For example, when art is identified with creation, or when it is assumed that intelligence is attributable to the human being, or that technology is a tool that the human being must use according to his will. These three ideas, which these discourses never bother to demonstrate, seem obvious, but they are the product of a progressive construction in the course of history that has contained and retained other possibilities that are co-present with those that have been actualized and have become dominant.
The deconstruction of the unthought of the premises consists in denaturalizing them and in showing their relative character. It is not so much a question of criticizing the content as of questioning the unconsciousness and the non-problematization, that is to say, deconstructing them as an argument of authority. This deconstruction allows to infiltrate in historical interstices.
- Symptomatology
From the picture of this unthought of the common sense, we proceed to a symptomatology by reversing all the propositions: art is not a creation, intelligence is not human, technique is not instrumental, etc. It is not a question of adopting the opposite point of view, but by such a reversal to make vacillate the evidence of these propositions, to change our habits of thought. There is nevertheless a certain work of the negative and the play of a bad spirit.
This symptomatology will consist in analyzing the speeches, not only as truth propositions, but as a complex of affects whose arrangement is ambivalent. Its formula is the conjuring enthusiasm where one is fascinated by what terrorizes according to an incessant reversal of affects. The discourses stage their object, project their own functionings and operations on it. Thus, we contest the intelligence of the AI in order to, underhandedly at the heart of the discourse, attribute this faculty to ourselves without any possible discussion, because if it doesn’t have it, it’s because I have it. One thus diverts the attention from the real object of one’s thoughts, the unthought is what thinks.
One of the most frequent forms of this unthinking is the assimilation of all mathematical operations to a dehumanization, simplification, reduction, etc. One allows oneself the freedom to think that these operations are more ambiguous and thus proceeds to a suspension of beliefs and evidences.
This translation of the discourses into ambivalent affective complexes where the oppositions are factitious allows to establish a structure of reasonings between the absolute which enthuses and the finitude which is conjured.
- The return of the repressed
Once this symptomatology and the bad spirit have been realized, we proceed to a return of the repressed. One takes up the whole of the unthought propositions and puts these discursive premises in relation with the historical structures (in the sense of a factual and possible history, taking into account the unrealized) in order to bring back to the surface what is occulted and what is forgotten in the discourses. This unthought, historically structured, allows for the emergence of a new form of thought that is reflexive, that is to say, that situates its premises explicitly. This allows the elaboration of new discursive propositions that do not repeat the ideological noise of the common and that have a historical agentivity.