On ne comprend les choses que quand c’est fini
On partage des jours et des nuits, une vie. On prend soin de l’autre, les peines et les joies. On prend en charge les angoisses et les désillusions. On métabolise l’autre. Sans être fusionnel, on n’a d’autre choix que de l’intégrer à sa vie, à ses projets, à son avenir. On le veut d’ailleurs. Les jours, les mois et les années s’accumulent.
On se sépare.
La vie s’effondre. Il faut tout réorganiser. On n’existe plus. Le temps passe, mais la blessure est là, plus profonde et sérieuse peut être encore car on prend conscience du lien métabolisé, de la vie imaginée à deux, de l’imaginaire partagé.
Après la séparation, l’absence de sens. Une existence vidée.
On voudrait dire qu’”on ne comprend les choses que quand c’est fini” (Philip Roth, 1998). On voudrait bien cette solution de la lecture rétrospective, mais voilà, même si on ne peut s’empêcher de construire un sens a postériori, on le sait injuste et inexact parce que c’est le futur qui juge le passé et qui le soumet, parce que cette signification est postérieure à l’événement et alors on rend inexistant l’amour passé puisque maintenant c’est terminé. On suppose que cet amour était éternel et s’il ne l’est pas c’est que ce n’était pas de l’amour. On est non seulement lâche par rapport à l’autre mais aussi par rapport à soi-même parce qu’on accueille pas inconditionnellement le fantôme que chacun d’entre nous est pour lui-même. Aura-t-on le courage d’affirmer un amour passé qu’on ne ressent plus ? Pourra-t-on se tenir à la hauteur de cet sentiment fulgurant ? Ou continuera-t-on à marchander de petites négociations avec soi en se disant que tout ceci ne valait pas la peine ou encore qu’on apprend de ses erreurs ?
Il n’y a d’autre vérité en amour que quand c’est fini et ce n’est pas alors qu’on comprend rétrospectivement l’histoire d’amour qu’on a vécu, ce serait une facilité, l’échappatoire d’un animal forcé à produire coûte que coûte de la signification au coeur de l’insensé. C’est plutôt qu’on comprend alors un sentiment qu’on ne ressent plus. Cette exoaffectivité est le sentiment d’amour lui-même qui se livre réflexivement au-delà des enjeux narcissiques et personnels : aimer en son absence, sans rien demander, sans rien se demander. Il n’y a d’autre vérité en amour donc que quand c’est fini et cette fin nous fait reconnaître la contingence de ce que nous ressentions et ce que nous ne ressentons plus à présent. La douce reconnaissance de son inexistence.