Artistic individuation and artificial creativity

Une erreur fréquente du sens commun consiste à croire que les IA dites génératives ouvriraient à chacun la possibilité d’avoir une activité artistique et permettraient de démocratiser la « créativité ». Or on semble alors oublier que cette prétendue généralisation a des effets sur elle-même car elle change son propre contexte de production et de réception.

Si les images générées sont dites « artistiques », ce n’est pas au sens d’une invention esthétique et d’une dialectique entre la définition de l’art et l’extension des œuvres, mais seulement au sens du lieu commun ou du cliché. Il suffit de voir l’esthétique flurry et blurry de Midjourney pour s’en convaincre ou encore d’observer la production quotidienne de telles images qui se déversent sur le réseau et la fascination béate qu’elle provoque chez leurs auteurs. Ce qui est généré c’est un effet artistique au sens d’une répétition d’un lieu commun esthétique. Une image qui « fait » artistique, c’est-à-dire qui est immédiatement perçue comme telle, n’est nullement un processus artistique. D’ailleurs, ce sont le plus souvent les entreprises de communication qui veulent faire « arty ». Il faut rappeler que la créativité n’est nullement un concept artistique, mais un concept qui a émergé dans la seconde partie du XXe siècle dans le monde entreprenarial quand il s’agissait d’accorder une partie d’autonomie créative à des cadres épuisés et désorientés.

Les imaginations artificielles dotées d’un espace latent conséquent jouent le rôle de révélateur : elles témoignent de l’esthétique commune, d’une moyenne à répliquer, de sorte que toutes les images semblent se ressembler même si aucune n’est absolument identique. L’espace latent se répand de jour en jour et constitue la Stimmung de notre temps.

Une pratique artistique consiste pour sa part à expérimenter l’espace latent par exploration, fine-tuning, reprogrammation, collision, recontextualisation et prompt programmé, afin de pouvoir se différencier de cette odeur esthétique moyenne et faire émerger des images singulières. En ce sens, ceux qui croient que l’usage de ces logiciels consiste, comme dans les années 90 et 2000, à répéter les lieux communs, la culture populaire et le déjà-connu, ne font rien d’autre ce que ces logiciels produisent par défaut et ce que chacun fait déjà.

Les IA génératives ont des conséquences paradoxales : elles constituent le symptôme d’une culture populaire arty que l’on peut d’ailleurs classer par style. Toute image qui fait artistique répète un lieu déjà connu de l’espace latent et n’a donc aucune nécessité d’être produite. Elle pourrait fort bien rester à titre de possibilité statistique. En étant l’expression explicite de la doxa esthétique, ces espaces latents sont aussi un lieu de différenciation de singularités esthétiques par les moyens du pliage statistique, du fine-tuning, de la production de série qui font émerger un monde cohérent. Elles sont donc constituées de deux niveaux, l’un symptomal, l’autre singulier, et c’est la confusion de ceux-ci qui entraînent l’erreur initiale. Tout se passe comme si l’IA transformait en possibles, par le biais de statistique, les rétentions ternaires, permettant de jeter un regard sur la stratification de nos mémoires, qu’elle permette de générer de nouveaux médias dont la ressemblance est automatisée, et qu’à un troisième niveau, l’artiste était en capacité de jeter un regard sur l’ensemble du processus pour individuer un média dans ce contexte de l’espace latent.


A common misconception is that so-called generative AIs will open up the possibility of artistic activity to everyone, democratizing “creativity”. However, we seem to forget that this alleged generalization has effects on itself, as it changes its own context of production and reception.

If the images generated are said to be “artistic”, this is not in the sense of an aesthetic invention and a dialectic between the definition of art and the extension of works, but only in the sense of the commonplace or the cliché. We need only look at Midjourney’s flurry and blurry aesthetic to be convinced of this, or observe the daily production of such images pouring onto the network and the blissful fascination they provoke in their authors. What is generated is an artistic effect in the sense of a repetition of an aesthetic commonplace. An image that “looks” artistic, i.e. is immediately perceived as such, is by no means an artistic process. In fact, it’s more often than not communications companies that want to be “arty”. It should be remembered that creativity is by no means an artistic concept, but one that emerged in the second half of the twentieth century in the corporate world as a means of granting a measure of creative autonomy to exhausted and disoriented executives.

Artificial imaginations endowed with a consequent latent space play the role of revealer: they bear witness to a common aesthetic, an average to be replicated, so that all images seem to resemble each other even if none is absolutely identical. The latent space spreads day by day and constitutes the Stimmung of our time.

Artistic practice, for its part, consists in experimenting with latent space through exploration, fine-tuning, reprogramming, collision, recontextualization and programmed prompt, so as to be able to differentiate itself from this average aesthetic odor and bring out singular images. In this sense, those who believe that the use of such software consists, as in the 90s and 2000s, in repeating commonplaces, popular culture and the already-known, are doing nothing other than what such software produces by default and what everyone is already doing.

Generative AIs have paradoxical consequences: they are a symptom of an arty popular culture that can be classified by style. Any image that becomes artistic repeats an already known place in latent space, and therefore has no need to be produced. It could very well remain as a statistical possibility. By being the explicit expression of aesthetic doxa, these latent spaces are also a site for the differentiation of aesthetic singularities through the means of statistical folding, fine-tuning and series production, which bring out a coherent world. They are thus made up of two levels, one symptomatic, the other singular, and it is the confusion of these that leads to the initial error. It’s as if AI, through statistics, transforms ternary retentions into possibilities, enabling us to take a look at the stratification of our memories, to generate new media whose resemblance is automated, and that, at a third level, the artist is able to take a look at the whole process to individuate a medium in this context of latent space.