L’anthropotechnologie expérimentale
Si l’anthropotechnologie peut être abordée comme une genèse relationnelle produisant les éléments mis en relation, l’être humain et la technique, elle peut aussi être envisagée comme une méthode anarchique (sans fondement puisque originairement relationnelle) d’heuristique artistique, c’est-à-dire d’exploration expérimentale.
Par là, on cherche à se différencier des approches autonomistes de type souverainiste. En effet, la manière dont les médias et certains essayistes approchent l’imagination artificielle (ImA) est de la considérer comme une puissance de création autonome qui se détacherait progressivement de son origine humaine et qui viendrait la remplacer, présupposant par là même que l’origine serait humaine. Tout ce qu’on attribue à la machine révèle en creux une perte d’attribution humaine : création, autonomie, indépendance, liberté, etc. Définir l’ImA c’est définir négativement l’imagination humaine. Si cet angle de vue permet sans doute d’intensifier certaines questions, il est réfutable quant à son origine puisque l’ImA est nourrie de datasets qui sont autant de traces anthropologiques et quant à sa destination puisque son résultat est perçu par des êtres humains. De sorte, que l’autonomie de l’ImA est le revers de l’autonomie anthropologique dont l’artiste serait le paradigme. L’autonomie est un enthousiasme conjuratoire ambivalent : la souveraineté est appliquée à la machine ou à l’être humain artiste pour conjurer leur relationnalité d’origine.
Quelles sont les influences de l’anthropotechnologie sur les pratique artistiques ? La Tyché (Τύχη) en art, c’est-à-dire la bonne fortune, le hasard, l’aléatoire (il faudrait se demander si la contingence, concept si fréquemment utilisé, peut être pensée dans un contexte artistique), est utilisée depuis l’Antiquité pour produire de l’inattendu et du hasard. L’artiste n’est pas alors considéré comme un artisan maîtrisant parfaitement sa technique, son art s’identifiant à un savoir-faire, mais comme celui qui sait laisser-être, qui lâche-prise, qui fait advenir plutôt que celui qui provoque et contrôle. Lancer des pigments sur une surface et voir ce qui arrivera, c’est connaître bien sûr un spectre de possibilités, mais c’est être surpris par le résultat. L’artiste est celui qui configure les possibles, non pas celui qui construit une réalité. Roger Callois parle bien de cette Tyché quand il décrit ces artistes peignant sur des pierres coupées reprenant par leur geste, les formes implicites des minéraux. Or l’une des formes contemporaines de cette
Tyché est l’ImA.
Nourrir un réseau de neurones ce n’est pas seulement, par cet acte, en devenir l’origine, car l’intention de former un dataset est prédéterminée par une relation aux possibilités du programme. La boucle de rétroaction nourrit la production et l’artiste n’est pas celui qui soumet le médium, il le connaît assez pour le laisser-être et lui donner des conditions de possibilités ne l’empêchant pas. Le programme apprend donc avec ce dataset, vectorisation et espace latent permettent lentement, d’époque en époque, de générer un résultat : surprise de voir ce qui advient, non pas comme étonnement absolu, mais relatif à une relation transcendantale, la relation donc comme a priori des conditions de production. On se lie alors à un imaginaire de la machine parce qu’on l’a imaginé, rendant inopérant l’idée d’une autonomie souveraine tant de la machine que de nous-mêmes. La seule autonomie envisageable est transcendantale en tant que celle-ci qui reprend en compte la fêlure de ses propres conditions. S’individuer parallèlement au programme : naissance anarchique de l’imaginaire. Il n’y a donc plus lieu de se demander ce que peut faire la machine en tant que machine ou ce qui reste à l’artiste en tant qu’artiste, les rôles ne sont pas séparés les uns des autres, ils s’imaginent toujours : l’ImA est influence.
L’artiste observe cette influence réciproque, il en suit le rythme, le tempo. Il n’est plus rien d’autre que cette respiration.