Après le popart

Si beaucoup de pratiques artistiques s’intéressent aujourd’hui au déluge des images à l’ère du Web, c’est sans doute qu’il y a là une continuation et une intensification du réalisme proposé par le popart : l’artiste ne saurait créer seul de nouveaux icônes, il doit se reposer sur la production médiatique de masse pour effectuer des transformations, des interprétations, des sélections et des détournements. L’art est une postproduction.

Le caractère massif de l’hypermnésie numérique donne un nouvel élan à cette problématique : en s’inspirant des memes et des clichés, des manières de faire, de produire et de diffuser sur le réseau, on pourrait narrer le contemporain. Les images de l’art viennent après toutes les autres qui nous submergent. La « neutralité » apparente des stocks de données en vente sur le Web pourrait s’allier avec la neutralité narrative du nouveau roman par exemple. Le contemporain est alors considéré comme l’avant-dernier monde, celui juste avant la chute, et l’attitude qu’on y développe est un mélange indiscernable de critique et d’ironie qui participe, à mes yeux, par la mise en scène de la critique et par la distance ironique, à la domination.

Or, ce réalisme de l’hypermnésie des médias n’est peut être pas le dernier mot de cette dernière, car les médias alimentent à présent des réseaux de neurones récursifs capables de produire un réalisme qui n’est plus celui du popart. Ce réalisme de l’induction statistique synthétise un grand nombre de données pour en faire un espace latent qui devient la source de nouvelles images dont le statut est problématique. Ce n’est pas la capture du réalisme qui est automatisé comme dans l’industrie, c’est l’espace même de la ressemblance comme telle.

Ce réalisme est alors double : il est fondé, non plus sur la répétition différentielle des données, mais sur leur synthèse, de plus il est sans réel, c’est-à-dire qu’il n’est plus un photoréalisme mais un réalisme des mémoires ou un dataréalisme. En alimentant un réseau de neurones de milliers d’images d’oiseaux, on peut produire des images d’oiseaux qui n’existent pas que nous reconnaissons comme des oiseaux. On peut aussi, en mêlant des catégories hétérogènes de la réalité, produire des hybrides, des métamorphoses, des possibles, bref une version alternative du monde.

Si depuis les années 50, et sans doute avant avec les papiers collés du cubisme, nous restions dans le popart, c’est-à-dire de la production industrielle du réalisme photographique, l’induction statistique de l’IA pourrait bien constituer une nouvelle étape esthétique tout autant qu’un approfondissement de la séquence précédente. Il faudra, dans les temps à venir, être attentif au renouvellement formel que cette étape ne manquera pas de susciter.

If many contemporary artistic practices are interested in the flood of images in the age of the Web, it is undoubtedly because there is a continuation and intensification of the realism proposed by pop art: the artist cannot create new icons on his own, he must rely on mass media production to carry out transformations, interpretations, selections and detour.


The massive nature of digital hypermnesia gives new impetus to this issue: by drawing inspiration from memes and clichés, from ways of doing things, of producing and broadcasting on the network, we could narrate the contemporary. The images of art come after all the others that overwhelm us. The apparent “neutrality” of the data stocks on sale on the Web could be combined with the narrative neutrality of the new novel, for example. The contemporary is then considered as the penultimate world, the one just before the fall, and the attitude that one develops there is an indistinguishable mixture of criticism and irony that participates, through the staging of criticism and the ironic distance, in the domination.


Now, this realism of media hypermagnesia may not be the last word, because the media now feed recursive neural networks capable of producing a realism that is no longer that of popart. This realism of statistical induction synthesizes a large amount of data into a latent space that becomes the source of new images whose status is problematic. It is not the capture of realism that is automated as in industry, it is the very space of resemblance itself.


This realism is then twofold: it is no longer based on the differential repetition of data, but on their synthesis; moreover, it is without reality, i.e. it is no longer photorealism but a realism of memories or datarealism. By feeding a neural network with thousands of images of birds, we can produce images of non-existent birds that we recognize as birds. We can also, by mixing heterogeneous categories of reality, produce hybrids, metamorphoses, possibilities, in short an alternative version of the world.


If since the 1950s, and no doubt before with the glued papers of cubism, we remained in the popart, that is to say, in the industrial production of photographic realism, the statistical induction of AI could well constitute a new aesthetic step as much as a deepening of the previous sequence. It will be necessary, in the times to come, to be attentive to the formal renewal that this stage will not fail to arouse.