Une autre ville

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Cette ville pourrait être Lisbonne, Rome ou Budapest. Elle est encore inconnue. Le marcheur vient d’arriver d’un long voyage, il a à peine déposé ses bagages à l’hôtel et décide de se promener sans savoir précisément où. Il ne dispose d’aucun plan. Le hasard le guidera.

Il marche à présent. Il se sent libre. Il est sans contrainte. Il n’a pas d’objectif. Son temps n’est plus découpé en fragment et en tâche, en action et en rendez-vous, en obligation. Il n’y a plus l’arrière-plan du quotidien, le bruit constant de l’agitation. Le temps est à lui, car il n’a pas le temps. Le temps ne lui appartient pas. Sa sensibilité est diffuse, il fait attention à tout et à rien, il se laisse porter par l’atmosphère. Il est sans objectif. N’importe quoi pourrait arriver. Il n’arrivera sans doute rien.

Le temps se dilate non parce que le voyageur s’ennuie, mais parce qu’il ne tend vers rien, le présent ne s’efface pas dans l’attente du moment suivant, les maintenant ne s’engorgent plus, ils ne se recouvrent plus, ne se chassent plus.

Il croise des visages inconnus qui semblent affairés dans la quotidienneté d’une ville qu’ils connaissent. Pourtant, tout est au ralenti. Il laisse ses yeux divaguer, s’attarder, s’approcher et se détendre, fixer et se détourner. Il regarde les anonymes comme il ne les regardait plus. Il ne fait plus abstraction des autres, car il n’a plus rien à protéger, il n’a plus d’objectif à laisser intact, il n’a plus que son regard et le mouvement irrégulier de son corps, sa marche désarçonnée.

Il se dit qu’il pourrait être un autre.

Il se dit qu’il pourrait vivre là. Quelle aurait été sa vie s’il était de Lisbonne, de Rome ou de Budapest ? Aurait-il été aussi artiste ? Aurait-il vécu avec les images ? Aurait-il lu les mêmes livres ? Aurait-il aimé et souffert autant ? Aurait-il pris soin de cette vibration invivable qui parfois le saisissait comme si dans la vie quelque chose excédait la vie ? Il se dit qu’il pourrait vivre là. Il pourrait venir avec elle avec quelques bagages supplémentaires, prendre un appartement meublé et rester quelques semaines, quelques mois, peut être des années dans cette ville inconnue. Ils n’auraient pas beaucoup d’amis, des connaissances, des commerçants avec lesquels ils pourraient échanger quelques mots. Il lui lirait des livres en fin d’après-midi. Elle s’endormirait doucement au creux du canapé. Il déposerait une couverture sur ses jambes. Il y aurait peut être des chats abandonnés auxquels ils donneraient des restes.

Il lève le regard, regarde les façades aveugles et les fenêtres. Dans chacune d’entre elles une vie aussi intense et fragile que la sienne.