La lutte des esprits

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Chacun pianote sur son clavier entrelaçant le flux de sa conscience au flux d’une inscription. L’un se reporte sur l’autre, la conscience est un effet de surface de l’inscription, elle est seconde. Chacun s’exprime. L’égocentrisme est-il un dispositif technique qui dépasse une intention ? Chacun fait sa promotion, s’agite, produit, écrit et fait des images, poste et reposte, pas une seconde à perdre. Il faut que quelque chose arrive. On a des choses à dire et à exprimer et on observe le nombre de likes et de partages qui s’accumulent sur sa page avec un mélange de déception et de délectation. On ne vaut que du petit réseau qui s’est formé autour de soi et si on « like » autre chose que soi, c’est dans l’espoir d’une réciprocité. Tout ceci n’est plus centralisé comme au XXe avec les médias de masse, cette démocratie nous opprime, nous pousse et nous écrase, la multitude ne parle que d’elle-même. Elle n’a pas le charme du spinozisme. Cette reconnaissance est-elle même un désir d’amour ou simplement le dispositif technique qui nous enchaîne ? Le bruit de fond est permanent, le nôtre, celui des autres et c’est une hantise, nous nous conjurons mutuellement. Nous savons combien chaque texte et chaque image n’est qu’un texte et qu’une image de plus s’accumulant, disparaissant au même instant. Notre expression est obsolète. Nous attendons encore le moment propice. Les artistes font leur promotion, postent des images de projet, ils assurent leur diffusion à une échelle microscopique. Certains philosophes se déchaînent sur Facebook, ils ne parlent que d’eux-mêmes. Ils ont rencontré telles célébrités mortes (avec en tête Deleuze et Derrida). Ils sont adoubés, adorent leurs propres textes, répondent aux réfutations avec cette assurance d’avoir réalisé une œuvre. On est abasourdi par tant de naïveté, comme si le dispositif de capture des anonymes pouvait nous faire croire à l’expression de chacun alors qu’il ne s’agit que de « storage », rien de plus. Comme si ce dispositif n’exigeait pas un certain recul, un clin d’œil, un peu d’humour de savoir reconnaître la vacuité. Comme s’il ne fallait pas sentir la contingence (désirée) de telles expressions et leur soumission aux protocoles et aux idéologies de leur inscription commerciale. Dans cette soumission même il y a la jouissance de se perdre, de s’évanouir et d’être le support d’un changement dont on ne connait pas la nature.